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Responsabilité juridique des entreprises au niveau mondial : la pression monte!

En janvier 2022, à l’occasion des 20 ans de l’ONG de défense des victimes SHERPA, Maitre William BOURDON, Avocat au Barreau de Paris et Fondateur de SHERPA était l’invité d’une conférence en ligne animée par Marine Champon, Fondatrice & Présidente d’INITIATIK.

SHERPA est né d’un constat :  les grands acteurs économiques mondiaux (entreprises ou Etats) peuvent aussi commettre des crimes dont les conséquences sont non seulement économiques mais aussi environnementales et sociales. L’objectif de SHERPA : sortir de la logique court-termisme qui est celle de la financiarisation du monde pour prendre en compte tous les intérêts généraux et l’intérêt public et s’inscrire dans une démarche de long-terme. Son arme : le Droit pour mener des batailles juridiques contre des multinationales afin de les rendre responsables des violations des droits humains ou de l’environnement qu’elles commettent même dans des terres lointaines.

“Après le XXe siècle qui a été consacré à réduire l’impunité des grands acteurs publics pour les crimes contre l’humanité et les droits de l’Homme, le XXIe siècle devrait être celui consacré aux grands crimes économiques au niveau international. Il y a le sentiment que le sauvetage de la planète et la défense des grands intérêts publics, sociétaux, droits de l’homme, droit du travail, environnementaux, exige de rendre les grands acteurs privés responsables”.

C’est par ces propos que Maître William Bourdon, avocat au barreau de Paris et président-fondateur de l’association de juristes Sherpa, spécialisée dans la violation des droits de l’Homme et la défense des victimes de la mondialisation, pose le décor de ce DialogueMR21 consacré aux droits humains et à la responsabilité juridique des entreprises au niveau mondial dans ce domaine.

Les clignotants en matière de droits humains sont au rouge

Le constat : les entreprises multinationales ont une capacité d’influence largement supérieure aux Etats et on assiste à une dramatisation et une complexification des enjeux au niveau international voire à « un délabrement général » lié notamment à l’affrontement commercial US/ Chine ou encore l’influence de la Chine en Afrique. Et Me Bourdon de souligner : «Les clignotants sont au rouge ».

Au moment où SHERPA fête ses 20 ans, il apparaît clairement que l’autorégulation promise (et attendue) des entreprises n’aura pas permis de faire évoluer de manière significative les atteintes aux droits humains. ET qu’il est nécessaire de créer des obligations.  Dans ce contexte, Sherpa a été créée pour faire évoluer significativement le droit en la matière et les obligations des entreprises, via notamment la jurisprudence. “Notre idée était d’utiliser des articles du code pénal pour amener devant le juge français ou européen des débats sur la responsabilité juridique internationale de filiales d’entreprises qui ont une communication très vertueuse tout en laissant se perpétrer des dommages graves sur les populations, parfois au prix de dommages à l’environnement et aux droits de l’homme.”

Vingt ans après, “les combats menés par Sherpa continuent à se heurter à de sérieuses difficultés, notamment le fait que les entreprises multinationales ont un chiffre d’affaires et une capacité d’influence largement supérieurs à ceux des États qui hébergent leurs investissements ou usines”, indique Me Bourdon.

Cette puissance des entreprises, devenues pour certaines des Entreprises-Etats, est également à resituer dans un contexte de concurrence mondiale féroce. Avec un argument opposé aux tenants du développement durable et de la « vertu » : comment continuer à être concurrentiel face à des entreprises qui, ailleurs, ne s’appliquent pas ces principes ?

Afin de faire bouger les lignes, l’arme du droit demeure centrale. Il sera nécessaire de s’appuyer sur des évolutions juridiques nouvelles et notamment la présomption de responsabilité qui figure dans la Directive européenne sur le devoir de vigilance en cours de discussion au niveau de la Commission européenne. La réplication à l’échelle européenne de la législation a adoptée en France il y a cinq ans sur le devoir de vigilance est très attendue dans ce contexte.

Qui pour faire bouger les lignes?

Le combat pour la défense des droits humains, couvert par les ODD, dépasse très largement le cadre des régulateurs et est avant tout porté par une large diversité de parties prenantes : la société civile, les syndicats et les ONG. En effet, comme le souligne Me Bourdon, « les stratégies des grandes entreprises pour échapper à la responsabilité notamment par rapport à leur chaîne de fournisseurs sont de plus en plus sophistiquées, avec par exemple des clauses qui les déchargent de toute obligation et de toute responsabilité”.  Néanmoins, une plainte contre les entreprises textiles pour recel de crimes contre l’humanité a enfin pu être déposée dans le cadre du génocide en cours contre les Ouïghours.

Or le défi auquel font face ces parties prenantes – syndicats et ONG notamment – est énorme : elles doivent se crédibiliser et agir aux niveaux des grandes enceintes internationales, là où notamment elles peuvent porter la voix des ONG du Sud souvent muselées ou sous pression. Et donc s’organiser plus avant encore, au sein de vastes coalitions internationales. Notamment dans des instances comme L’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Responsabilité des entreprises et crise des démocraties

On est dans un course poursuite. Le principal ennemi de la responsabilisation des acteurs privés, c’est la financiarisation de l’économie avec un certain nombre d’entreprises pour lesquelles « le développement durable, c’est le cynisme durable ».

Pour Me Bourdon, « il n’y a pas de respect de l’intérêt général de la part des entreprises si elles ne se situent pas sur le long-terme. C’est le grand combat des années à venir. »

Il implique de repenser la mondialisation et de lutter contre la financiarisation excessive, principale menace sur les droits humains. Ce combat se situe sur deux plans.

Celui de la réputation : il deviendra à terme intenable pour certaines entreprises, sous la pression de la société civile notamment, de maintenir ses activités dans un pays où les droits humains sont notoirement bafoués – Total en Birmanie – voire où la présence de certaines entreprises permet au régime en place de maintenir le statu quo – Lafarge en Syrie -. Comme le soulignait Me Bourdon lors d’une interview sur France Inter le 21 mars 2022, Total pourrait être demain accusé de complicité de crimes contre l’humanité en restant en Russie dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine.

Celui du droit : Or l’arsenal de droit pénal en matière d’environnement est notoirement insuffisant.

La vertu peut être rentable

Au bilan il faut faire comprendre que oui, « la vertu peut être rentable ».

Dans une période de crise de la démocratie avec une défiance forte vis-à-vis des responsables publics ou privés, l’action citoyenne des ONG prend d’autant plus d’importance. Or plus on est cynique, plus on est court-termiste et plus on s’accommode de ce que Mireille Delmas-Marty appelait « le despotisme doux ».

Face au climat de résignation et de repli individuel, collectif et national, Il n’a jamais été aussi urgent vital, crucial que les grands responsables publics et privés soient à la hauteur des grandes menaces qui pèsent sur les grands intérêts généraux – la biodiversité, l’environnement, la financiarisation  – et pourtant ils n’ont jamais semblé aussi défaillants et eux-mêmes pris dans une logique court-termiste.

Néanmoins, pour ce « pessimiste optimiste » tel que ce qualifie Me Bourdon, il faut savourer cet aphorisme de Romain Gary : «Il faut bien connaitre les limites du possible. Pas pour s’arrêter mais pour s’attaquer à l’impossible dans les meilleures conditions. »

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