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D’une mondialisation à l’autre : Lost in translation

« L’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru » disait Confucius. L’ouvrage passionnant de Nicolas Dufourcq, « La désindustrialisation de la France », fera-t-il mentir le proverbe ? Et surtout, sait-on vraiment mieux « lire » la mondialisation aujourd’hui qu’hier ? Et à défaut d’avoir réussi la « mondialisation heureuse », pourquoi ne pas être moins naïf et plus ambitieux, et essayer de réussir « l’interdépendance équilibrée » ?

Copyright. Gilbert Garcin
Copyright. Gilbert Garcin

Plus proche du thriller que de l’ouvrage d’analyse économique, ce retour en arrière sur 30 ans de désindustrialisation éclaire sur la multiplicité des causes… et la spécificité française. Parmi les plus de quarante témoignages très éclairants de ceux qui l’on vécut, chefs d’entreprises notamment, un constat et un enseignement de Pascal LAMY interpellent particulièrement. Le constat sur la désindustrialisation qui s’enclenche dans les années 2000 : « Non, [je n’ai pas été surpris] mais je reconnais que nous l’avons vécu comme un phénomène flou, un moment pas clair. On ne comprenait pas les chiffres. Je voyais un phénomène mais je ne mesurais pas son ampleur, sa dynamique, sa pente. ». Un enseignement : « Il est fondamental de mesurer les échanges mondiaux en valeur ajoutée plus qu’en volume. […]. [C’est] la valeur ajoutée qui doit à mon sens être le vrai guide d’une politique industrielle. »

Le constat de l’époque vaut-il toujours aujourd’hui ?

Une chose est certaine, aucun acteur de l’économie mondiale ne peut déchiffrer seul la mondialisation et ses ressorts. Et la tendance (tentante !) d’une lecture à travers le prisme de « blocs » qui se reconstitueraient occulte de nombreux phénomènes à l’œuvre – comme le réveil douloureux de certains pays (en Afrique notamment) qui se sont laissés séduire par le modèle chinois -, l’impact brutal du changement climatique sur l’habitabilité de certaines zones dans tous les sens du terme – et par conséquence les migrations qui en résultent – ou encore les aspirations d’une société civile mondiale à plus de justice sociale et de valeur partagée. Auquel s’ajoute l’impact majeur des ruptures technologiques sur nos sociétés.

La fin de ce que l’on a appelé « la mondialisation heureuse » (qui ne l’a, en réalité, pas été pour tout le monde…) appelle deux urgences :

  • L’importance de s’accorder sur le constat à faire aujourd’hui par rapport aux ratés de la mondialisation ;
  • La nécessité de définir le modèle économique que l’on veut construire, non seulement à l’intérieur de nos frontières européennes mais surtout pour, et vis-à-vis, du reste du monde.

Le retour à plus de souveraineté ne signifiera pas la fin des interdépendances économiques. A défaut d’avoir raté la « mondialisation heureuse », pourquoi ne pas être plus ambitieux, et essayer de réussir « l’interdépendance équilibrée » ?

“Une chose est certaine, aucun acteur de l’économie mondiale ne peut déchiffrer seul la mondialisation et ses ressorts.”

Dans ce contexte, quid de la « valeur ajoutée » dans les échanges mondiaux à construire ? Et plus précisément, quel est rôle attendu des entreprises dans cette logique ? De la lecture que nous ferons des bouleversements économiques, sociaux, environnementaux, géopolitiques et technologiques au niveau mondial, dépendra la définition du rôle et de la place des entreprises partout où elles opèrent. Le modèle de développement durable promu par l’UE doit, à terme, aider les entreprises à définir leur politique étrangère et les nouveaux termes de la coopération public/privé partout où elles sont présentes.

Comment ? En définissant clairement la manière dont les entreprises prennent leur juste part à une économie durable mondiale, notamment dans le contrat social rénovée qu’elles seront capables de proposer et de nouer avec l’ensemble des parties prenantes partout où elles opèrent. Mais elles ne peuvent pas en porter seules la charge.

Dernier point et non des moindres : le court-termisme. Il est bien souvent le meilleur ennemi de la durabilité et du partage de la valeur. L’expérience (encore elle !) de la désindustrialisation française montre combien la financiarisation (notamment au niveau des PME/ETI) a joué un rôle dans le déclin et comment au contraire le capitalisme « familial » ou le contrat social à l’allemande ancré dans les territoires et soucieux du long-terme ont été des amortisseurs.

Et si le grand problème de la mondialisation des 30 dernières années avait été le court-termisme ? Et si la vraie révolution demain était actionnariale pour réussir à enfin penser le moyen et le long-terme ? Ce qui pourrait signer l’avènement de la valeur partagée en lieu et place du volume.

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